Issue d’une famille catholique pratiquante de quatre enfants, il n’était pas imaginable que j’échappe au scoutisme.

 

En tout cas avant mes quinze ans, âge auquel on commence à avoir un semblant de cerveau, et les arguments qui vont avec. Car il en fallait pour venir à bout du genre de parents que j’ai, vous pouvez me croire.

 

Souples dans leur inébranlable amour pour le scoutisme, mes parents s’adaptèrent aux différentes formules proposées selon les régions, au gré de nos déménagements. Mes sœurs, mon frère et moi avons tout essayé, ou presque : scouts, éclaireurs, guides, et jeannettes pour les filles. Seuls les scouts d’Europe, connus pour leurs accointances avec l’extrême droite, nous furent heureusement épargnés.

 

S’il y a bien une constante dans le scoutisme, quel que soit le nom du groupe, c’est la DÉBROUILLE, la démerde ou la one again, selon le degré atteint d’irresponsabilité dans l’autonomie.

 

Car les scouts ne s'embarrassent pas de normes d'hygiène ou de sécurité : à huit ans, l’été, en pleine forêt, tu fais le feu tout seul, avec tout plein d’allumettes et de papier journal ; à douze ans, tu montes ton camp à coup de scie sauteuse ; et enfin, à quinze ans, tu pars loin, sans adulte et sans argent, de préférence dans un pays où on est susceptible de se choper une bonne tourista.

 

Bref, j’ai arrêté pile-poil à l’âge où ça devenait intéressant.

 

En revanche, je n’ai pas échappé aux innombrables camps d’été qui présentaient l’avantage d’être peu coûteux et très longs, et de vous faire respirer à pleins poumons la bonne nature, tout en vous formant à la « vraie vie ».

La « vraie vie », ça ne me dérangeait pas franchement, du moment qu’il y avait des tentes et de la bouffe. Ce qui me posait problème, par contre, c’était qu’il y avait toujours DES CHOSES À FAIRE.

 

En famille (c’est le gros avantage des familles nombreuses), j’arrivais assez facilement à faire le sous-marin : j’attendais qu’on m’appelle mille fois avant de me pointer, et feignais de m’indigner, ensuite, que la table ait été mise par l’un de mes frère ou sœurs qui avait eu la malchance de se trouver près de la cuisine.

 

Or les scouts, écolos bien avant l’heure, ne lavaient pas leurs casseroles avec du liquide vaisselle mais avec le sable des RIVIÈRES malheureuses dans lesquelles nous nous décrassions aussi, une fois par semaine.

 

Il fallait donc généralement MARCHER longuement avant d’atteindre le robinet naturel, pour ensuite tenter de récurer des casseroles gigantesques dans une eau glacée : autant dire qu’on ne se battait pas pour le faire, sauf peut-être l’inévitable scout premier de la classe, qui s’était senti pousser des ailes après avoir reçu le badge « scout frère des autres ».

 

Car oui, aux scouts, on peut gagner des écussons, selon son implication dans le « camp ». Et, autant je n’en foutais pas une, autant ma déception était grande, chaque fois que quelqu’un se voyait remettre un nouveau badge, qu’il cousait avec extase sur sa chemise dans la journée.

 

Je n’étais pas certaine de trouver l’ENERGIE de COUDRE quoi que ce soit où que ce soit, mais quand même.

 

Comme je n’avais aucune intention d’éplucher des patates pour vingt, le badge de « cuisinier » était hors de ma portée.

 

Si, occasionnellement, il m’arrivait de porter quelques bâtons, je n’avais pas la PATIENCE de monter une table en entier avec tout un tas de ficelles et de nœuds compliqués que je n’avais jamais pris la peine de retenir. Exit, donc, l’écusson du schtroumpf, euh, scout « bricoleur ».

 

Je n’avais pas de talent particulier d’animation et pouvais donc faire une croix sur le badge « scout troubadour ».

 

La badge « trappeur » était inenvisageable puisque je ne savais pas reconnaître ma droite de ma gauche.

 

Je ne brillais pas par ma ferveur à la messe, (que je passais la plupart du temps à l’ EXTÉRIEUR de l’église, avec des excuses que je variais à l’infini), donc l’écusson « ami de Dieu » n’avait aucune chance de m’échoir.

 

Finalement, pour obtenir le badge « ami de la nature », j’avais donné à manger à un petit écureuil qui avait ses habitudes près de notre tente, mais on m’a ensuite cruellement affirmé qu’il allait sentir mon odeur auprès des siens, et que je l’avais condamné.

 

J’ai donc subi ces années de scoutisme sans haine mais sans enthousiasme excessif non plus, résignée à l’idée de n’avoir aucun talent connu.

 

Un matin, pourtant, à la fin d’un camp bien corsé où nous avions terminé dans un état de maigreur et de crasse innommables, je trouvai, posé sur mes chaussettes puantes, un écusson. Méfiante, je m’en approchai pour le prendre dans mes petites mains noires, et découvris avec stupeur et confusion un écusson « artiste ». Avec un petit pinceau dessus !!! UN PINCEAU !! Celui-là, à n’en pas douter, était pour moi.

 

Je ne l’ai jamais cousu sur une chemise, mais, quand j’attends que mes enfants mettent la table, en sirotant un petit verre de rouge, je pense à lui.