Pendant des années, nos enfants nous ont réveillés la nuit. D’après les psys, les chérubins qui braillent la nuit le font pour rassurer des parents trop anxieux.

 

Pour leur indiquer qu’ils sont toujours vivants, quoi.

 

Ha, les psys : toujours le mot pour rire.

 

Après huit ans de nuits pourries, donc, nous sommes à présent détenteurs de nuits à peu près sereines.

 

Maintenant que tout le monde est en pleine forme, et qu’il n’y a plus de risque de réveiller un environnement plus étendu encore que celui de l’immeuble - qui a déjà bien profité de nos largesses - nous n’hésitons pas à nous aventurer à l’ EXTÉRIEUR, jusqu’à avoir, cet été, tenté le CAMPING, aventure extrême s’il en est.

 

Il y a certainement une forme de MASOCHISME dans cette volonté soudaine de dormir sur des tapis de 2 cm d’épaisseur, dans des duvets plucheux qui ferment mal, vaguement protégés de la pluie par des tentes qui sentent le Kway. Comme s’il était devenu impossible d’envisager plusieurs SEMAINES de sommeil intense et réparateur, comme s’il risquait, peut-être, de nous arriver QUELQUE CHOSE, si par inadvertance on se mettait à dormir TROP profondément.

Bref, vendredi dernier, pour profiter des derniers jours de beau temps, nous décidons de foncer, après l’école, dans un camping pas très loin de chez nous, pour y passer la nuit. Le temps de récupérer les enfants et de jeter tout un tas de trucs en vrac dans la voiture, et nous voilà partis dans la campagne tourangelle, pimpants et exaltés.

 

Nous avons eu, auparavant, la bonne idée d’annoncer aux enfants qu’il y avait une piscine, tout en prenant le soin étrange de préciser qu’elle fermait à 19h : Raphaël et Lucie ont les yeux RIVÉS sur l'heure du GPS et se pré-lamentent à l’idée d’arriver trop tard pour plonger dans la javel.

 

Une fois le camping repéré, nous nous garons donc quasiment au frein à main pour nous présenter à l’accueil. La dame, pas stressée, nous explique longuement le fonctionnement du lieu. Les enfants piaffent, commençant quasi à se déshabiller dans le local, manquant de renverser au passage quelques conserves de lentilles.

 

Nous nous jetons sur le premier emplacement venu, pour planter énergiquement nos piquets. Une tente est rapidement montée. Ouf. Les enfants sont à deux doigts du burn-out : ils se consument, littéralement, en nous passant les sardines. D’ailleurs, ils sont déjà en maillot : nous n’avions pas tourné le dos deux secondes, pour sortir les sacs de la voiture, qu’ils étaient à poil sur l’emplacement, un tas de vêtements à leurs pieds.

De guerre lasse, nous décidons donc rapidement d’abandonner le montage de la seconde tente, et, sans passer par la case pédiluve et encore moins par la case douche, nous fonçons tous, que dis-je, volons, en direction du bassin fleurant l’ammoniac, où nous marinons en chœur une vingtaine de minutes.

 

Lorsque le gérant vient nous chasser, nous quittons dignement les lieux, enroulés dans nos serviettes, provisoirement apaisés. Malgré l’apathie générale, il faut tout de même monter l’autre tente : c’est que la nuit tombe vite, la bougresse ! Tout le monde s’affaire, les yeux un peu rouges, en slip de bain. Une fois la tente en place, nous nous empressons d'ouvrir une bouteille et de flanquer deux grosses boîtes de raviolis dans une casserole sur le butagaz, et vogue le dîner.

 

L’affaire est rondement menée, et en quinze minutes, l’ensemble est expédié, ce qui tombe fort bien, vu la nuit qui tombe elle aussi et eu égard au programme chargé : menue vaisselle et lavage de dents.

 

Lorsque la virée sanitaire est annoncée aux enfants, Raphaël, tel saint Paul tombant de son cheval, est pris d’une soudaine et terrible INFLAMMATION DES YEUX, due, affirme-t-il, à l’absence de ses LUNETTES DE PISCINE. Ses globes oculaires le brûlent, il ne parvient plus à ouvrir les paupières. Nous voilà obligés de le GUIDER en le tirant par la main aux sanitaires. C’est simple : il est obligé de tâtonner, pour trouver le lavabo.

 

C’est une main sur les yeux que Raphaël finit par se brosser les dents sous le regard exaspéré de son père - pas de sa mère, qui conserve un doute sur l'hypothèse pourtant peu probable d'un aveuglement au chlore.

 

De retour à l’emplacement, chacun des parents fourre un enfant dans un duvet, après l'avoir muni d’un petit maillot de corps sous le pyjama.

Oui mais ils ont TROP CHAUD, ils veulent dormir TORSE NU.

 

Ma patience commence à s’effriter. Je leur sors alors mon célèbre couplet, bien connu d’eux, s’ils tombent malades personne ne s’occupera d’eux ni ne les emmènera chez le médecin, ils iront à l’école à 40 de fièvre et couverts de vomi s’il le faut, CELA M’EST ABSOLUMENT ÉGAL, d’ailleurs je l’espère presque.

 

Peu impressionnés, ils finissent malgré tout torse nu dans leurs petits duvets, thug life, avec l’autorisation d’utiliser la lampe de poche pour lire un quart d’heure.

Comme il fait maintenant carrément noir, nous n’avons plus, Maël et moi, qu’à nous coucher nous aussi, et nous n'avons pas fini de zipper la tente que nous entendons, à quelques mètres, les premiers cris de sioux. Une histoire de LUMIÈRE qui ÉCLAIRE À GAUCHE MAIS PAS À DROITE.

 

Habitués à ne surtout pas interférer dans ce style de polémique, nous entreprenons dans un silence sépulcral nos lectures respectives, avec l’espoir inavoué que les enfants, à la faveur de l’obscurité, OUBLIENT notre présence.

 

Au bout de quelques minutes, il semblerait qu’il y ait eu un accord au sujet de la lumière. Le calme revient.

 

Premier Aïe. Deuxième Aïe. Cri déchirant. BOM. Re-cri.

 

Les hululements sont de plus en plus difficiles à ignorer.

 

Un son articulé déchire alors la nuit : LUCIE ELLE SE MET COMME UNE ÉQUERRE DANS LA TENTE !! (Une fierté de parent prof m’envahit : c’est quand même joliment dit)

 

Deuxième tirade : ELLE A LA TÊTE DANS MES FESSES !!!

 

Ni l’un ni l’autre ne répondons. C’est Maël qui perd au triste jeu de la guerre des nerfs parentale : il abandonne momentanément sa position horizontale, pour se prendre la tête dans l’auvent, le pied dans une sardine, et finir opportunément dans la tente de la discorde.

 

Il passe un savon aux enfants, qui continuent à débattre en se coupant la parole, peu enclins à écouter leur père, qui finit pourtant par s’imposer, à la seule force de la menace. ("Demain personne n’ira à la piscine")

 

Le calme re-revient. Maël reprend position, avec la fierté du devoir paternel accompli.

 

BOM.

 

- AÏÏÏÏÏÏÏÏÏEEEEEEEEE !!!! PAPAAAA MAMAAAANNNNN !!!!

- T’AVAIS QU’À PAS METTRE TA TÊTE DANS MES FESSES !!!!!!!! C’EST D’TA FAUTE !!

 

Cette fois, je n’y couperai pas, c’est mon tour. (Surtout que Maël, qui venait de se rallonger, est parti aux toilettes, en fulminant qu’avec tout ça, il a oublié d’y aller)

 

Sans quitter mon duvet, je piaille : « Y EN A PTÊTRE UN QUI VEUT FINIR DANS NOTRE TENTE ??? HEIN ??? ÇA VA FINIR COMME ÇA MOI J’VOUS L’DIS !! HEIN ?? LEQUEL DES DEUX VEUT V’ NIR DANS NOTRE TENTE ????!!!!

 

Un silence interloqué survient, juste avant que deux petites voix exaltées ne scandent en chœur : MOI !!!! MOI !!!!!

 

Dans un élan de rage, je décide de séparer les enfants et m’empare du premier duvet dodu venu pour le flanquer à mes côtés, pendant que j’envoie l’oreiller de Maël dans la tente d’en face.

 

Quand Maël revient, sa place est occupée par Lucie. Autant dire qu’il n’est pas ravi-ravi. Il part donc se coucher dans la mini-igloo à côté de Raphaël, qui l’accueille avec des hourras (pas sûr que la portée punitive du truc ait été franchement assimilée.)

 

Lucie, quant à elle, se love contre moi, ravie elle aussi de ce moment d’intimité volé. Je n’ai pas franchement le cœur à la repousser, nous nous endormons donc l’une contre l’autre pour quelques heures.

 

Lorsque je me réveille, je m’étonne de ne pas l’entendre : Lucie ronflotte légèrement, d’habitude, ou alors, au moins, elle respire bruyamment. Là, rien. J’ai une soudaine montée d’angoisse. Je pose la main sur son bras. Qui n’est pas chaud. Ni même tiède. Elle est carrément un peu froide.

 

Grands dieux !!!

 

Dans un demi-sommeil, j'allonge ma pogne en plein sur son museau pour m’assurer qu’elle respire : elle se met alors à émettre un long couinement.

 

Ouf.

 

Mon cœur bat encore la chamade.

 

Tout va bien.

 

Lucie se met à ronfler puissamment.

 

Pendant que je me confectionne des petites boules quies avec des feuilles de PQ, je songe à la bêtise des psys : comme si les parents étaient responsables de tout ! Y a juste des enfants qui dorment bien, et d’autres qui ont le sommeil léger. C’est comme ça, c’est la nature.