C'est au cours de l'année 2017, lors de l'une des nombreuses journées de formation infligées par la réforme, que vous avez appris, affligée, que vous enseigniez en BUS. (les tables les unes derrière les autres, pour les non-profs)

 

Lors de la première journée, vous compreniez grâce à l'apport inestimable d'un formateur dopé aux neurosciences, que pour savoir une leçon il fallait d'abord l' APPRENDRE. (Vos poils s'en dressent encore de stupéfaction.)

 

Lors de la deuxième journée, enthousiaste, vous découvriez que l'absence de tablettes et d'ordinateurs dans votre collège n'était en aucun cas un frein à la révolution numérique que le ministère appelait de ses voeux, la formatrice du jour (inspectrice au demeurant) vous assénant avec conviction qu'on pouvait faire du numérique sans numérique (Vous essayez encore de comprendre)

 

Le troisième jour, vous aviez hâte d'entendre des exemples d'Enseignements Pratiques Interdisciplinaires réussis, car ce que vous aviez entraperçu jusqu'à présent vous semblait un chouïa capillotracté. La proposition de la formatrice de confectionner un monstre en rouleau de PQ à l'issue d'un chapitre sur le conte de fées en 6è vous a alors fait vivre une expérience de dissociation : votre corps planait désormais, tel une mouette rieuse, dans la salle de classe où se tenait la formation.

 

C'est forte de ces acquis pré-cognitifs considérables que vous apprîtes donc, le quatrième jour, que, enfer et damnation, vous faisiez partie du clan des CLASSIQUES, ceusse qui font cours EN BUS, vous qui pensiez bêtement que vous faisiez cours tout court. Mais, dans la bouche de l'inspectrice-formatrice, ça sonnait mal, TRES MAL : vous vous êtes imaginée, l'espace d'un instant, les yeux bandés, face à un peloton d'exécution composé de formateurs ne raisonnant plus que par cartes mentales. C'est sûr que le BUS (à la rigueur le car pourrait sonner comme une invitation au voyage), ça fait pas rêver : il fait chaud, y a du bruit, et ça pue les aisselles. Alors que l'îlot, aaaaah l'îlot le sable fin, l'eau turquoise et le savoir que les élèves boivent à grandes goulées, comme du lait de coco.

 

Obstinée et rebelle, vous avez pourtant terminé votre année en BUS, convaincue que dans le fond, on n'était pas au club Med, et que vous en faisiez déjà bien assez pour tenter de faire avancer vos troupes au milieu du désert aride de la connaissance. Il y a deux semaines pourtant, parce qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, vous décidez de tenter de regrouper les tables par quatre. (Vous faites des ILOTS, quoi) Mais, par esprit de contradiction, vous appelez ça des TABLEES -ce qui ne laisse pas de surprendre vos élèves, qui se sont vite faits à l'idée d'être on the beach- et aussi parce que vous êtes bien placée pour savoir que les mots ont un sens, qu'il faut pas trop prendre les élèves pour des cons quand même, et que, jusqu'à nouvel ordre, c'est encore vous qui décidez des mots que vous employez.

 

Il est vrai que parfois, pourtant, en fin de journée, les cheveux dressés par le vent, le sel et les questions d'élèves, les oreilles bourdonnantes du bruit des vagues et du ronronnement incessant de leurs bavardages , la peau tannée par la chaleur et l'énervement, vous vous échouez, seule, assise sur un coin de votre bureau, et, tel Robinson, vous rêvez d'une île. Déserte.