Pour le brevet, vos collégiens sont mélangés avec celui du très huppé collège Sainte Ursule-Marie.
Les jeunes filles de cet établissement très privé portent des blouses fleuries sous des salopettes en jean et d'élégants buns, qui laissent s'échapper quelques-uns de leurs cheveux brillants.


Les garçons ont les cheveux courts.


Ils sont tous blancs.


Garçons et filles entrent et s’assoient en silence.


Vos élèves, eux, sont comme ils savent être ; ils ont un avis sur tout, les profs qui les surveillent, l'odeur de la salle, la couleur de leur papier brouillon. Ils ont des casquettes et des chewing-gum qui font du bruit. Les garçons ont des coupes de footballeur et les filles les cheveux lissés. Ils ne sont pas tous blancs, ils ne sont pas tous minces.


Les filles de là-bas portent leur médaille de baptême, sur une fine chaîne élégante. Les filles de chez vous ont de grandes boucles d'oreille dorées.


Les garçons de chez eux ont de petites lunettes à monture d'écaille. Les vôtres ne savent pas qu'ils en ont besoin, ou ne veulent pas les porter. 


Les vôtres ont, pour certains, gardé leur anorak, et l'un d'entre eux s'est même endormi, la tête sur un dictionnaire, qu'on lui a prêté, pendant la rédaction. 


Les vôtres, pour beaucoup, partent dès que c'est autorisé.


Les autres écrivent, et restent jusqu'au bout de l'épreuve.


Vos élèves ont des prénoms de star de télé, ou venus d'autres pays. Les autres ont des prénoms dont vous ne soupçonniez pas l'existence, et qui font parfois quatre syllabes.


Vous souhaitez une chose, une seule, c'est que ceux qui n'ont pas de médaille de baptême ni de lunettes en écaille rendent d'aussi bonnes copies que les autres, et peut-être même des meilleures. Mais les choses étant ce qu'elles sont, vous en doutez. Vous savez pourtant que Stanley, Mehdi, Madison, Shannon, ont des qualités que “les autres” n'ont pas. Mais ils ne connaissent pas les codes du système dominant, et, pour cette raison, ils n'auront pas la même note à leur rédac; ni n'auront le même travail.


Pourtant, vous gardez espoir. Que les choses changent et que le système permette à vos élèves d'arriver là où ils ont envie d'arriver.